Tout le monde s’entend pour dire que le bureau est une mauvaise place où mettre son argent présentement. Quand tout le monde s’entend sur quelque chose, c’est louche. Et quand je dis tout le monde, j’exagère : quelques investisseurs ont recommencé (discrètement) à investir dans la classe d’actifs mal aimée des 5 dernières années.
J'analyse cette semaine 5 points qui pourraient donner raison à ces investisseurs qui sont à contre-courant de la tendance du marché.
Les données opérationnelles sont encourageantes
Les statistiques trimestrielles du marché des bureaux s’améliorent. Pour la première fois depuis Q1 2020, le taux de vacances des bureaux dans les grandes villes canadiennes a diminué.
La vacance est encore supérieure à 18%. On s’entend que c’est loin d’être parfait. Mais c’est tout de même un premier signal positif depuis 5 ans.
Et ce ne sont pas tous les espaces qui sont affectés de la même façon. Les bureaux prestigieux se portent beaucoup mieux que le marché en général. Les espaces flexibles (c'est-à-dire les espaces qui peuvent être rapidement reconfigurés afin de proposer une section pour les réunions, une section pour les appels privés, etc.) semblent aussi avoir la cote.
Des taux de capitalisation intéressants
Selon le plus récent rapport de taux de capitalisation de CBRE, les transactions se font présentement à des taux de cap entre 7.5% et 9.5% à l’échelle du pays. Ça fait plus de 10 ans qu’on n’a pas vu des taux aussi élevés.
J’ai parlé à un investisseur de Montréal la semaine passée. Cet investisseur finalise un achat à 8.25%, et même si ça n’a pas été facile, il a été capable d’aller chercher 2 offres de financement qui affichent un taux d’intérêt de 5%.
Un spread de 3.25% entre le taux de cap et le financement, c’est très intéressant. Si les conditions de marché restent les mêmes, et que la performance opérationnelle du bâtiment ne change pas sur 5 ans, les résultats seront :
Pas mal pour des hypothèses conservatrices.
Et si d’ici 5 ans les taux de cap baissent de ~1% (les taux demeureraient tout de même en haut de la moyenne historique), et qu’une augmentation de 5-6% des loyers peut être négociée dans 5 ans (donc une moyenne de 1% par année, encore une fois en bas de la moyenne historique), il se retrouverait avec des profits de ~9M$ et un TRI > 15%. Ce n’est pas difficile d’imaginer un tel scénario.
Évidemment, il y a toujours le risque de perdre un locataire. Mais avec un ratio de couverture de dette (DSCR) initial tout près de 2.0x, la situation ne serait pas catastrophique. En fait, même avec une perte de 30% des revenus, le service de la dette pourrait être maintenu.
Le ratio risque-récompense du deal est bon.
"Write-down" de valeur chez les grandes institutions
Les grandes institutions financières (CDPQ, Teachers, REITs, etc) possèdent la majorité des immeubles à bureaux au Canada. Depuis 4 ans, elles ont dû ajuster à la baisse la valeur aux livres de leurs actifs bureaux.
Les baisses de valeur sont toujours enregistrées lentement. Personne ne veut présenter des mauvais résultats trimestriels à cause d’un important “write-down”. Les institutions attendent et se croisent les doigts pour que le marché se replace. Personne ne transige, on se dit que les valeurs vont remonter. Mais à un moment donné, ça devient gênant: les institutions doivent capituler et admettre que le marché n’est plus ce qu’il était. La valeur aux livres des actifs est dépréciée. Ironiquement, c’est souvent au moment où les grandes institutions capitulent que le marché est sur le point de rebondir.
Maintenant que les valeurs aux livres sont plus basses, ça devient plus facile de transiger. On pourrait se demander pourquoi la valeur aux livres a un effet sur les transactions. C’est parce que si on transige à une valeur inférieure à la valeur comptable, on doit enregistrer une perte de valeur immédiate (ce qui donne un résultat trimestriel à la baisse). Alors que si on ne transige pas, on s’achète du temps avant de devoir reconnaître la perte aux livres.
Pour ceux qui n’ont jamais travaillé pour des sociétés publiques, le concept de valeur aux livres ne fera pas vraiment de sens. Je comprends. J’ai travaillé pour une compagnie cotée en bourse, et croyez-moi, la valeur aux livres a une incidence majeure sur les décisions des entreprises. Ça ne devrait pas être le cas, mais rappelez-vous que les “write-down” comptables affectent les résultats court terme, les résultats court terme font varier le prix des actions d’une entreprise, le prix des actions a un gros impact sur la rémunération des dirigeants, etc.
Les actifs bureaux ont été dépréciés de milliards de dollars depuis 4 ans. On est rendus au point où la valeur aux livres reflète la valeur actuelle des bureaux (ou à tout de moins, on est beaucoup plus proche qu’on ne l’était il y a 1-2 ans). Le nombre d’opportunités de transactions devrait augmenter significativement au cours de la prochaine année.
Nouveaux projets de développement: un pipeline presque vide
Presque tous les projets de développement de bureaux ont été mis sur pause ou annulés. Combien de grues voyez-vous actuellement pour des projets de bureaux au Québec? Presque aucune.
Selon CBRE, la construction de bureaux est à son plus bas niveau en 20 ans. L'offre de nouveaux bureaux sera extrêmement limitée pour les 3 à 5 prochaines années minimalement, créant un contexte favorable pour les propriétaires existants.
Plan B : la reconversion en résidentiel?
Transformer des immeubles de bureaux en espaces résidentiels est une idée séduisante, surtout dans un contexte de pénurie de logements. On se dit que si notre investissement bureaux bat de l’aile après quelques années, on modélisera une conversion du bâtiment en appartements et on s’en sortira plutôt bien.
Ceci étant dit, j’ai tenté plusieurs fois de faire fonctionner les chiffres pour une conversion, et c’est souvent très difficile. On y reviendra plus en détails, mais à la base, un plan d’étage bureau et un plan appartement sont très différents. Les colonnes ne sont pas aux mêmes endroits, la répartition des cuisines et des salles de bain est évidemment différente, etc.
Si la superficie étage est grande et la forme du bâtiment est relativement carré (donc difficile de donner accès aux fenêtres pour toutes les unités), ou si une structure fondamentale comme l’ascenseur ou l’escalier de secours doit être déplacée, c’est souvent impossible de faire fonctionner les chiffres. Les coûts deviennent trop importants.
Donc oui, la conversion peut devenir une option, mais attention de ne pas y accorder trop de valeur.
Le timing est-il parfait?
C'est certain que le télétravail a changé les habitudes des gens et la demande pour le bureau.
Est-ce que la tendance va se poursuivre? Le marché donne des signes positifs pour la 1ère fois en 5 ans, mais c’est possible que ce ne soit qu’un soubresaut avant une autre tempête.
Quand on regarde dans le rétroviseur, c’est facile d’identifier le creux d’un cycle. Et d’affirmer que c’était bien évident que l’actif mal aimé était en reprise d’altitude à partir du moment XYZ.
Quand on est au présent, et qu’on lit des articles négatifs semaine après semaine, c’est un peu moins facile. Personnellement, je pense que le bureau se transforme, qu’il est loin d’être mort. Je pense que 2025 pourrait être un bon moment pour magasiner intelligemment des actifs bureaux.
Par “intelligemment”, je veux dire “de façon sélective”. Au cœur de la pandémie (lorsque tout le monde était d’accord sur le fait que “le retail est mort”), les groupes qui ont investi de façon sélective dans les commerces de proximité ont fait des rendements spectaculaires jusqu’ici. Est-ce que ce sera la même histoire pour les espaces de bureaux flexibles et bien localisés?
BRIQUES ET DOLLARS
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