La chaise musicale des locataires

De plus en plus de locataires sont prêts à changer de logement sur une base régulière. Je les comprends. J’ai récemment vu des offres de propriétaires qui offrent 3 mois gratuits si le locataire signe un bail de 2 ans. 3 mois gratuits pour louer un camion et payer la pizza à ses amis, ça vaut la peine pour plusieurs.


Les propriétaires d’appartements sont tous convaincus qu’ils ont créé une communauté et un sentiment d’appartenance chez leurs locataires. C’est vrai une fois sur dix.


Analysons quelques façons de prolonger le séjour moyen de nos locataires dans nos immeubles.


Le coût réel du roulement d'un logement


Avant de regarder comment conserver des locataires, regardons ce que ça coûte d’en perdre un.


La peinture, les petites réparations et le nettoyage d’une unité pour accueillir un nouveau locataire nous coûtera au moins 1000$ (dépendant de la taille de l’unité et de l’état dans lequel le locataire l’a laissé, évidemment).


Additionnons ensuite les coûts de marketing et d’administration pour trouver un nouveau locataire. La publicité Facebook, l’enquête de crédit, etc. Potentiellement aussi des frais de courtier, si on n’a pas les ressources à l’interne.


Il est aussi possible que le nouveau locataire n’arrive pas exactement au moment où l’ancien locataire quitte, créant une perte de revenus. Ou encore qu’on décide d’offrir 1 mois de loyer gratuit au nouveau locataire parce que la compétition est féroce dans le secteur.


Au final, pour une unité d’une chambre qui se loue à 1500$ par mois, le roulement d’un locataire représente l’équivalent de 1-2 mois de loyer en coûts additionnels.


Pour certains propriétaires qui n’ont pas indexé leurs loyers régulièrement, perdre un locataire est souvent considéré comme un avantage : ils vont pouvoir relouer à un prix de marché plus élevé, alors que si le locataire renouvelle, la hausse de loyer est limitée par la réglementation.


Pour des propriétaires qui proposent des loyers de marché, perdre un locataire est très dispendieux.


L’idée d’un programme de récompenses


Aux États-Unis, un programme appelé Bilt Rewards est de plus en plus populaire. Le concept est simple : les locataires accumulent des points en payant leur loyer, et ils peuvent échanger ces points contre des rabais auprès de certaines entreprises. Lyft, ainsi que plusieurs compagnies aériennes, font partie des partenaires de Bilt Rewards.


Je comprends que Bilt Rewards fasse affaire avec des compagnies qui opèrent à l’échelle nationale. Après tout, ils tentent de s’établir sur l’ensemble du pays de l’Oncle Sam. Si je dessinais un programme au Québec, je suivrais le chemin inverse en tentant de créer des partenariats avec des joueurs locaux.


Disons que mon locataire paie 1500$ par mois. Chaque fois qu’il paie le 1er de chaque mois, il accumule 1500 points (un paiement en retard ne donne droit à aucun point). Et si un locataire paie 12 mois consécutifs à temps, en plus de ses 1500 points par mois il obtient 5000 points supplémentaires.


Ensuite, la question est de savoir comment je peux créer de la valeur pour mes locataires (c’est-à-dire leur faire profiter de leurs points) sans que cela n’affecte trop ma rentabilité. Voici quelques idées :


1. Des rabais chez des partenaires locaux


Un locataire peut échanger 5000 points pour avoir droit à une soirée avec 10% de rabais au nouveau restaurant du quartier. Le pitch que je ferais au restaurant : « Écoute, les restaurants dépensent en moyenne 3-10% de leurs revenus en frais marketing. Pour les 6 prochains mois, tu seras le seul restaurant affiché dans mon menu d’options pour mes x portes sous gestion / de mon portefeuille. Autrement dit, au lieu de payer 10% à Facebook, je ne te demande pas de me payer ce 10%, je te demande de donner un rabais de 10% à certains de mes locataires, et en échange je te fournis gratuitement un affichage exclusif sur le portail électronique de mon programme de récompenses ».


Le restaurant acquiert des nouveaux clients, les locataires ont un rabais à un endroit le fun, et tout ça ne me coûte aucun dollar.


Je peux voir le pitch fonctionner auprès de restaurants, cafés, le gym du coin, ou n’importe quel autre commerce local qui aurait un intérêt pour mon profil de locataire. Important de bien arrimer mon type de locataire et le partenaire.


J’essaierais d’afficher une seule option à la fois pour mes locataires. Le commerçant doit pouvoir constater une augmentation de son chiffre d’affaires. Mieux vaut limiter les choix et changer de partenaire à tous les 3 à 6 mois par exemple. Après un affichage de 6 mois qui a connu du succès, il est possible que la coiffeuse du quartier souhaite revenir l’an prochain. Et qu’au lieu de 10%, elle soit prête à offrir 15% de rabais à mes locataires.


Un peu de compétition entre partenaires n’est jamais une mauvaise chose.


2. Des mois de loyer gratuits (ou à moitié prix)


Avec 50,000 points (ou un nombre de points ajustés pour le loyer mensuel en $$$ du locataire), le locataire peut les échanger contre 1 mois de loyer gratuit. Contrairement à l’option précédente, cette option-ci coûte réellement quelque chose au propriétaire.


Ceci étant dit, il est fort probable que si les locataires se font offrir des rabais à des commerces intéressants, ils vont dépenser leurs points au fur et à mesure, au lieu d’accumuler leurs points pendant 2-3 ans pour avoir 1 mois de loyer gratuit.


Et si jamais ils attendent vraiment leur mois gratuit, ce ne sera pas la fin du monde : on a vu ci-haut ce que ça coûtait de perdre un locataire.


Autres façons de créer de la loyauté


Le système de points récompense n’est pas révolutionnaire. C’est un système utilisé depuis longtemps, entre autres, par les hôtels et les lignes aériennes. Voici d'autres initiatives un peu moins communes qui pourraient être intéressantes:


1. Programme d'accession à la propriété


Pertinent si je possède des biens locatifs et que je fais des projets condos / maisons. Un locataire pourrait convertir ses points et obtenir un rabais sur le prix d'achat d’une de mes nouvelles propriétés. Tant qu’à perdre un locataire, aussi bien conclure une vente en conséquence. C'est une façon de les accompagner dans leur parcours immobilier. Et également une façon potentielle pour eux de créer de l’équité et d’avoir moins l’impression de «jeter de l’argent par les fenêtres en louant ».


2. Programme de référence


Je peux offrir 1000 points de récompense pour chaque candidat référé qui signe un bail d'un an ou plus. J'économise sur les frais de marketing et j'attire des locataires qui (vraisemblablement) sont compatibles avec mes locataires actuels. Le sentiment de communauté est renforcé.


3. Participation aux décisions collectives


Disons que je décide d’améliorer mes aires communes. Après mes recherches, je suis relativement indifférent entre un espace terrasse / BBQ ou un petit jardin communautaire. Pourquoi ne pas faire voter les locataires? Ou je ne sais pas trop si je devrais repeindre le chalet urbain en blanc ou en bleu pâle : demandons leur avis.


Le but n’est pas de déléguer les décisions aux locataires. Non. Le but est de permettre aux locataires de faire des choix par rapport à des options dont les coûts et l’impact sur mes opérations sont similaires. Ça renforce aussi le sentiment d’appartenance à leur environnement.


4. Éducation financière


Organiser des webinaires trimestriels sur des sujets variés: budgétisation, investissement, planification de retraite, et pourquoi pas même une préparation à l'achat d'une propriété. Ça ne me coûte pratiquement rien (au contraire, ces évènements peuvent être commandités au besoin), et ça rend service à mes locataires.


Le but de tous ces petits gestes est de faire réfléchir mes locataires à ce qu’ils perdraient en quittant leur logement. La plupart des blocs appartements se ressemblent (n’en déplaise aux propriétaires, qui sont certains du contraire). Chaque petit élément qui a de valeur pour mes locataires est un élément qui n’est vraisemblablement pas offert par ma compétition.


Et tout ce qui est énuméré dans cet article ne demande aucune sortie de gros dollars de ma poche. Beaucoup moins de dollars que de devoir remplacer plusieurs locataires à chaque année.


Application concrète


Pour certaines des initiatives, c’est certain que ça serait difficile à implémenter si je possédais uniquement 3 portes. Je me vois mal proposer au resto du coin un gros push publicitaire pour mes 3 locataires. Mais si vous possédez peu de portes, pourquoi ne pas faire équipe avec d’autres propriétaires dans la même situation? Pour un gestionnaire de propriétés (qui n’est pas propriétaire), un programme du genre pourrait aussi aider à se démarquer des autres gestionnaires externes.


Après un certain volume critique d’unités (idéalement dans un espace géographique restreint), un programme de loyauté tel que décrit ci-haut ne serait pas très difficile à gérer. Je commencerais très simplement, peut-être juste en connectant mon système de collection de loyers à un fichier Excel. Et j’enverrais trimestriellement un résumé des points de récompense et des autres initiatives à tous mes locataires.


Et au moment d’automatiser le tout, ce ne serait pas très compliqué non plus. Un mix de ChatGPT et Airtable (ou tout autre système intuitif de gestion de base de données) peut aisément créer un portail en ligne automatisé et très professionnel auquel pourraient accéder mes locataires.


Au-delà des détails techniques et des initiatives discutées ci-haut, le but de ma réflexion était de trouver un moyen de me différencier de mes compétiteurs au niveau de la gestion immobilière.


Au lieu de donner des mois gratuits à la tonne (parce qu’on n’est pas capable de réfléchir à une stratégie plus intelligente que celle de baisser ses prix pour attirer les gens), pourquoi ne pas essayer de créer plus de valeur pour nos locataires?


Certains bâtiments au centre-ville de Montréal et à Griffintown ont un taux de roulement annuel de 35%. La compétition est forte, les mois gratuits fréquents. Pour un bâtiment de 200 unités, 35% de roulement coûte annuellement minimalement 150-200K$. À un taux de capitalisation de 4.5%, des coûts annuels de 150-200K$ représentent une baisse de la valeur du bâtiment d'environ 4M$. Évidemment c'est utopique de penser qu'on peut diminuer le taux de roulement à 0%. Mais même si nos initiatives de loyauté ne permettent de diminuer le roulement qu'en partie, on parle tout de même de millions de dollars en cash flow et en valeur bâtiment. Pour un investissement mineur. La loyauté des locataires, c'est payant.


BRIQUES ET DOLLARS

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