En immobilier, c’est quoi un bon rendement?

“Est-ce que x% est un rendement acceptable pour mon projet? Est-ce assez élevé pour attirer des investisseurs?” Une question qui revient tout le temps.  

La réponse est toujours subjective car chaque projet est (habituellement) différent. Mais il y a tout de même des façons d’encadrer quantitativement l’analyse. 

Un des concepts de base de la finance est que plus un projet est risqué, plus le rendement exigé par les investisseurs sera élevé.  

J’examine 3 façons de caractériser les rendements: les conventions, l’approche historique, et la construction du rendement par facteurs. 

J’utilise le rendement annuel (le taux de rendement interne) parce que c’est une façon uniforme de comparer différents types de projet (bâtiment stabilisé vs nouveau développement) et même différents types d’actifs (immobilier vs actions). Oui, le TRI peut être manipulé, ce n’est pas la seule mesure qui importe en immobilier, mais pour l'exercice actuel c’est la meilleure base de comparaison. 

 

Les conventions 

Par conventions, je veux dire les règles habituellement utilisées par les investisseurs pour catégoriser les projets sur la base du risque général perçu, et déduire un rendement en fonction de la catégorisation.  

L’approche classique est d’utiliser 4 catégories de projets en immobilier, et de déduire un rendement attendu en conséquence. 

 1. Core : investissements dans des propriétés de haute qualité, stabilisées, situées dans des emplacements de premier choix. Ces actifs génèrent des revenus stables avec un risque minimal. Le levier financier se trouve habituellement entre 0-50% de la valeur de l’actif (par exemple, pour un bloc appartements d’une valeur de 100M$, le prêt adossé serait de 50M$ ou moins).  Les rendements attendus sont généralement les plus bas, entre 6% à 10% par an. Un exemple de Fiera Capital

 

2. Core Plus : similaires aux investissements Core, mais avec une tolérance légèrement supérieure au risque. Ces propriétés peuvent nécessiter des améliorations mineures ou avoir des taux d'occupation légèrement inférieurs. Le levier financier est habituellement de 40-60% de la valeur. Les rendements annuels attendus se situent entre 8% et 14%.  

 

3. Valeur ajoutée : ces investissements ciblent des propriétés nécessitant des améliorations significatives, une meilleure gestion ou un repositionnement sur le marché. Le levier financier est souvent de 60-70%. Le risque est plus élevé, mais les rendements potentiels sont également supérieurs, souvent entre 12% et 20% par an. Un exemple de LaSalle

 

4. Opportuniste : stratégie la plus risquée, impliquant des projets de développement, des propriétés en difficulté ou des marchés émergents. Ces investissements peuvent ne pas générer de revenus immédiats, mais visent des rendements élevés, souvent supérieurs à 18% annuellement. Le levier financier est souvent supérieur à 70%. Les stratégies varient d’un groupe à un autre, ou même d’un projet à un autre

 

L’approche historique 

Les rendements historiques sont souvent difficiles à trouver en immobilier, étant donné la nature privée des investissements (quoique les REITs nous donnent maintenant un peu plus de visibilité, comme on le verra ci-bas). 

Commençons à haut niveau, avec une comparaison entre différent actifs provenant de l’étude de la Federal Bank of San Francisco, The rate of return of everything, 1870-2015

Le rendement nominal correspond au % absolu, alors que le rendement réel est le rendement nominal diminué de l’inflation annuelle. On voit qu’en rendement réel, les obligations ont généré environ 2.5% de rendement, versus un peu moins de 7% pour les actions. La colonne Immobilier de cette étude est à prendre avec un grain de sel, à mon avis: l’étude a “reconstruit” des indices immobiliers à partir de données comme l’estimation des loyers à chacune des époques. Je comprends pourquoi les auteurs l’ont fait : pour les années 1800 et la majorité de 1900 il n’y avait pas de données publiques en immobilier, contrairement aux actions et obligations qui sont transigées sur le marché.  

Regardons maintenant des données publiques en immobilier. J’utilise principalement des données provenant des États-Unis en raison de leur disponibilité et de l’échantillon plus représentatif des résultats. Des organismes comme Nareit et MSCI publient des indices de marché. Voici la performance annuelle nominale des REITs américains par secteur au cours des 30 dernières années : 

Ces données immobilières sont plus fiables que l’étude précédente, puisqu’elles proviennent directement du marché public. Tout de même, leur utilité est limitée: les REITs sont pour la plupart de grosses entités avec des stratégies variées au sein du même REIT. Donc c’est difficile de cibler les rendements en fonction de la stratégie et du risque encouru. Par exemple, bien que le rendement des REITs résidentiels a été de 10.6%, c’est très difficile de segmenter les rendements obtenus sur des actifs stabilisés (donc des actifs moins risqués) versus des rendements obtenus sur les projets de développement (plus risqués).  

Pour avoir une meilleure appréciation des rendements exigés, il faut quantifier les rendements et risques par type de projet, et non pas par compagnie. Des auteurs du MIT Center for Real Estate Research ont compilé une étude selon les données privées de MSCI (502 milliards USD d’actifs, 111 portefeuilles et 7317 propriétés aux États-Unis). Leur calcul de rendements historiques par types de projet est le suivant: 

Attention avec les chiffres ci-haut : afin de standardiser les résultats, les auteurs ont calculé les rendements avant levier financier, et avant frais et honoraires payables aux promoteurs. Donc si on compare avec les rendements de nos projets (qui incluent habituellement de la dette et des honoraires), il faut moduler nos chiffres pour comparer des pommes avec des pommes.  

 

Construction par facteur du rendement exigé 

Une autre méthode pour calculer les rendements est d’additionner divers facteurs et primes de risques en lien avec l’immobilier. Le résultat de cette addition nous donne le rendement attendu pour un projet spécifique. 

On peut incorporer autant de facteurs qu’on le désire pour construire notre rendement.

J’utiliserai les facteurs suivants: 

Taux sans risque + prime de risque de marché + prime d’illiquidité + prime de levier + prime spécifique = Rendement attendu. 

Regardons chacun des facteurs individuellement. 

1. Taux sans risque: le plancher absolu pour un projet sans risque. On utilise habituellement le rendement des obligations du Canada de 5 à 10 ans (pour refléter la durée de notre projet immobilier), qui est présentement d’environ 3%.  

2. Prime de risque de marché: le rendement excédentaire exigé pour investir dans des actifs risqués versus le taux sans risque. Par exemple, au moment d’écrire ces lignes, la prime de risque des actions américaines est estimée à 5.5% par Kroll. Damodaran estime la prime de risques des entreprises faisant affaires dans les pays développés entre 4 et 5%.

  

L’immobilier a été historiquement reconnu comme étant moins volatile que le marché boursier. 

Geltner et al. suggèrent une prime de risque immobilière de 1.5% à 3.5%.

 

Une prime de 3% me semble raisonnable. 

3. Prime d’illiquidité: le rendement supplémentaire exigé pour accepter que son capital soit immobilisé pendant une période prolongée, sans possibilité de le convertir rapidement en liquidités. 

  

Le niveau d’illiquidité peut varier: vendre un bloc appartements au centre-ville de Toronto ne se fait pas aussi rapidement que de vendre des actions de Couche-Tard, mais dans un délai de quelques mois il devrait être possible de convertir le bloc appartements en liquidités. À l’autre bout du spectrum, si on investit dans un projet de développement de 4 phases qui est prévu durer 12 ans, c’est difficile de convertir ses parts en liquidités pendant ce temps (sans vendre à perte). 

Barclays suggère qu’il existe une prime d’illiquidité de 3 à 5% pour les fonds qui sont illiquides sur une longue durée, par exemple du capital de risque “early stage” qui est souvent illiquide pour une dizaine d’années. 

Pour les investisseurs institutionnels de façon générale, PIMCO estime la prime d’illiquidité à 1.7%

Donc pour les actifs dont la liquidité est relativement bonne (bloc appartements au centre-ville de Toronto), j’utilise une prime d’illiquidité de 1%. Pour les projets de longue durée (développement de plusieurs phases), j’utilise une prime de 4%. 

4. Prime de levier: le rendement supplémentaire exigé par un investisseur pour compenser les risques associés à l'utilisation de dette dans un projet. La prime varie en fonction de la quantité de dette utilisée ($ de dette en fonction de la valeur de l’actif, ou en fonction de ses flux monétaires et de sa capacité à rembourser la dette même si les choses vont moins bien que prévu).  

Plusieurs analyses ont été effectuées sur l’effet du levier sur les rendements, comme par exemple cette recherche sur le levier des REITs, ou encore celle-ci sur les actifs dans différents pays. Plusieurs autres articles se sont penchés sur la prime de levier dans des domaines autres que l’immobilier

J'utilise une prime entre 0% (pour un actif sans aucune dette) et 6% (pour un projet dont le niveau de dette est supérieur à 75% LTV). 

5. Prime spécifique: c’est la prime qui est liée à l’actif de façon spécifique (donc qui n’a rien à voir avec le marché en général), et qui regroupe plusieurs éléments tels la localisation du projet, le risque règlementaire (surtout pour un projet de développement), le risque d’obsolescence (par exemple pour l’achat d’un vieux bâtiment), la complexité de gestion, etc. 

Le problème avec cette prime est qu’elle est très subjective. Certains gestionnaires n’appliquent aucune prime pour un actif stabilisé situé dans une grande ville. D’autres considèrent que tout ce qui est résidentiel ou logistique est la base de référence (donc prime de risque spécifique de 0%), alors que les autres secteurs ont une prime qui varie entre 0.5% à 2.5%.    

C’est possible de créer une grille d’évaluation des risques avec des critères définis. Par exemple, pour le critère Localisation, on pourrait décider qu’un actif situé dans une ville d’au moins 1 million d’habitant a une prime spécifique de 0%, un actif situé à moins de 25 kilomètres de cette ville aurait une prime de 1%, etc.  

Et par la suite, on peut créer d’autres échelles pour les autres critères mentionnés ci-haut. 

Ce sera toujours subjectif, et il faudra utiliser son jugement pour faire certains ajustements de toute façon. Pour le moment, utilisons une prime qui varie entre 0% et 6%. 

Utilisons maintenant tous ces facteurs de façon concrète. Prenons 2 exemples de projet et appliquons notre formule Rendement exigé = Taux sans risque + prime de marché + prime d’illiquidité + prime de levier + prime spécifique. 

Achat d’un centre de distribution à moins de 30 minutes du centre-ville de Montréal, construit il y a 2 ans. Les garanties du locataire sont excellentes, et le bail est en vigueur pour encore 13 ans. Un prêt avec un LTV de 50% sera mis en place. Mon calcul de rendement exigé = 3% + 3% + 1% + 0% + 0% = 7%. 

Maintenant, le développement d’un complexe hôtelier de 2 phases en Mauricie. Les phases seront décalées afin de réduire autant que possible l’équité à investir. Le prêt construction représentera un levier de 75%. Mon calcul de rendement exigé = 3% + 3% + 4% + 5% + 6% = 22%.  

 

Sommaire 

Les 3 méthodes vues ci-haut sont loin d’être parfaites. L’expérience et le jugement seront toujours les meilleurs guides. Mais ajouter des balises quantitatives à notre analyse aide à diriger les discussions de rendement exigé. 

Un point final, et très important: la fiscalité. Ci-haut, je fais référence à des rendements avant impôts car la charge fiscale est très différente d’une personne ou d’une entité à une autre. C'est impossible de donner des règles générales, ça dépend toujours du contexte fiscal d’un investisseur. On s’entend, l’important est de maximiser les dollars dans ses poches nets d’impôts, et non pas juste de maximiser les rendements pré-impôts. Donc l’analyse et la comparaison entre différents actifs devraient toujours incorporer nos impacts fiscaux. 

Dépenser quelques dollars pour un mandat de fiscalité avant d’investir dans un actif ou un projet spécifique vaut toujours la peine. Les conclusions du mandat peuvent influencer significativement la décision d’investir ou non dans un projet ou même dans une classe entière d’actifs. L’immobilier, avec ses déductions comme l’amortissement, profite d’une situation fiscale avantageuse pour plusieurs investisseurs (mais pas tous, d’où l’importance de consulter un professionnel en fiscalité).  

BRIQUES ET DOLLARS

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