Prêt construction : mieux vaut un bon partenaire d'affaires qu'un bon taux

« Je ne peux pas signer ça. On a un meilleur taux ailleurs… ». L’investisseur avait raison. Notre banque habituelle avait fait des concessions, mais on avait une offre d’une autre institution financière (introduite par ce même investisseur) avec un taux d’intérêt 0.25% plus avantageux.


« Je sais que la banque a été flexible dans notre dernier projet sur la structure du prêt. Mais là, c’est un nouveau projet. 0.25% sur un prêt de 50M$, ça finit par faire des gros dollars qui vont sortir de nos poches », qu’il disait.


C’est le genre de phrase qui sonne bien. Mais quand on creuse un peu, la situation est plus nuancée.


C’était au moment où on se sortait douloureusement de la période Covid. La dernière chose que j’avais en tête était d’introduire un nouveau prêteur dans une situation qui comptait déjà assez d’incertitudes.


Après plusieurs appels, un tableau d’explications, et des prières à tous les dieux et déesses qui me venaient en tête, l’investisseur a fini par accepter de signer. 8 jours gaspillés. Le temps, c’est de l’argent.


La base d'un prêt construction


Bref rappel sur les prêts construction. Un prêt construction est très différent d'un prêt hypothécaire standard. Disons qu’on a un projet de développement avec des coûts totaux de 100M$. Prenons pour hypothèse que la banque accepte de financer 75M$ de ce montant. Donc 25M$ d’équité devra être investi.


Pour les premiers 25M$ de coûts projet encourus, ce sont les investisseurs qui mettent la main dans leurs poches. À partir de 25,000,0001$ de coûts, la banque nous prête l’argent. La banque n’avance pas le 75M$ de prêt d’un coup ; elle débourse le prêt au même rythme que les coûts sont encourus, mois après mois pendant la construction.


Le fait que les tirages du prêt soient successifs est une des raisons qui diminue un peu l’importance du taux d’intérêt par rapport à un prêt hypothécaire standard. Dans notre exemple ici, on ne paie pas de l’intérêt sur 75M$ de prêt dès le début du projet. Les investisseurs injectent d’abord toute l’équité en début de projet, et par la suite les intérêts commencent à être chargés, au fur et à mesure que les tirages sont faits.


Dernier point, mais non le moindre : s’il y a des coûts supplémentaires par rapport au budget initial de 100M$, les investisseurs doivent les couvrir. Autrement dit, si on est rendus au mois 6 et on se rend compte que le budget total sera finalement de 105M$ et non de 100M$, on a un appel à faire. Un appel pas trop agréable : « Mesdames, Messieurs les investisseur(e)s, mauvaise nouvelle, il va falloir mettre 5M$ de plus que prévu en équité dans le projet. Désolé ». Ouch.


L’impact d’une différence de taux d’intérêt


Revenons à notre projet de départ. Il s’agissait d’un projet appartements dont les coûts s’élevaient à environ 68M$.


On voit dans la colonne de gauche ci-bas les coûts et résultats pour un prêt construction selon l’offre de l’institution financière qui faisait compétition à notre banque habituelle. La colonne du centre affiche les résultats si le prêt construction affichait plutôt un taux d’intérêt de 0.25% plus élevé, c’est-à-dire l’offre de notre banque habituelle:



J'ai simulé ci-haut une vente du bâtiment une fois le bâtiment stabilisé, juste pour isoler la période de construction. Dans les faits, on a conservé le bâtiment dans notre portefeuille. La différence sur les profits serait encore moins matérielle si je modélisais aussi la période de détention.


Le taux d’intérêt 0.25% plus élevé amenait donc une hausse des coûts de financement de 201K$, ainsi qu’une hausse de l’équité à investir par les investisseurs en début de projet de 50K$.


Je ne dis pas que ce sont des montants négligeables : 200K$ reste 200K$. Mais sur un projet de 68M$, ce n’est pas très matériel.


L’analyse quantitative c’est une chose. Regardons maintenant le côté qualitatif : la vraie raison pour laquelle la différence de taux d’intérêt n’est pas la variable la plus importante.


Flexibilité et rapidité du prêteur


En développement immobilier, les imprévus sont la règle, pas l'exception. Retards de la ville. Problèmes de sol. Changements réglementaires. La liste est longue.


Certains prêteurs s'adaptent et réagissent rapidement. D'autres restent figés, gèlent les fonds pour 3 semaines, doivent demander la permission au siège social, etc.


La différence entre un prêteur agile et un prêteur traditionnel est énorme.


Le résultat


Voici ce qui s’est passé dans notre projet de 68M$. Lors d’une révision budgétaire peu de temps après le début du chantier, on a conclu que les hard costs, qui étaient initialement estimés à 36.7M$, augmenteraient de ~14%. Ouch.


Dans la colonne de gauche ci-bas, on voit le résultat si on avait signé l’offre de la nouvelle institution financière et qu’elle avait agi comme les banques agissent habituellement : elle nous aurait demandé d’injecter ~3.4M$ d’équité supplémentaire dans les prochains 30-45 jours pour couvrir les coûts révisés.


Dans la colonne du centre, on voit le résultat réel avec le prêt contracté auprès de notre banquier habituel. Je lui avais expliqué en détail la cause de la hausse des coûts (problèmes d’approvisionnement Covid, etc). Je lui avais aussi fourni des prévisions de loyers projetés mis à jour, confirmés par un évaluateur agréé. En effet, la Covid avait causé une augmentation des coûts, mais l’inflation impactait aussi les loyers, qui montaient rapidement. Notre banquier a cru en nos prévisions. Il a agi comme un partenaire d’affaires : il a accepté d’augmenter son prêt d’une valeur de 3.4M$, couvrant l’entièreté de la hausse des coûts :



La différence majeure entre les 2 dénouements (celui théorique de la colonne de gauche et celui réel de la colonne du centre) est l’équité investie. Le TRI est aussi fortement impacté.


Grâce à notre banquier, les investisseurs n’ont pas eu à investir 3.4M$ en équité supplémentaire. Évidemment, en augmentant le prêt, on a dû payer 368K$ de plus en intérêts. 368K$ de plus en intérêts pour ne pas avoir à injecter 3.4M$ d’équité supplémentaire, c’est un minuscule prix à payer.


Vous pouvez vous demander « David, comment tu peux être certain que la nouvelle institution financière n’aurait pas agi elle aussi en partenaire d’affaire. Peut-être qu’elle aurait aussi augmenté son prêt pour couvrir les coûts supplémentaires? ». Effectivement, on ne le saura jamais. Je ne connaissais pas très bien la nouvelle institution financière. Selon quelques discussions à gauche et à droite, j’avais compris qu’ils offraient de bons taux, mais qu’ils étaient plutôt rigides par la suite. Je doute fort qu’ils auraient augmenté leur prêt, et je suis 99.9% certain qu’ils n’auraient pas couvert l’entièreté des coûts supplémentaires comme notre banquier habituel. Et je n’aurais pas pu les blâmer : une relation de confiance, ça se bâtit à long terme des 2 côtés.


Une autre question pourrait être « Ok pour ce projet-là, votre banque vous a sauvé le postérieur, mais ce n’est pas tous les jours qu’il y a des dépassements de coûts aussi importants! ». Encore une fois, c’est vrai. L’exemple ici est extrême. La situation était extrême (Covid, etc). Mais il y a toujours des imprévus dans les projets, même s’ils sont mineurs par rapport à notre cas ici. Donc c’est difficile (impossible en fait) de quantifier précisément la valeur d’un prêteur flexible. Alors que c’est très facile de quantifier une différence de taux d’intérêt. Mais ce n’est pas parce que quelque chose est difficile à quantifier que ce n’est pas important. Même si c’est rare, LA fois où on a besoin d’une bouée de sauvetage, on est très, très, très reconnaissant d’avoir un partenaire d’affaires. Et non pas juste d’avoir une compagnie dans une tour du centre-ville qui nous fournit du capital, et qui nous lit une clause du contrat de prêt quand on les appelle.


Comment trouver une banque qui se conduit en partenaire d’affaires? L’expérience et les discussions avec d’autres développeurs / investisseurs sont les meilleurs guides. Mais il y a quelques facteurs qu’on peut identifier en amont. J’écrirai sur la négociation de prêt construction (pas juste du taux d’intérêt) prochainement.


En bref


Contrairement à la majorité des gens, le taux d’intérêt ne fait pas partie de mon top 3 des facteurs les plus importants à négocier pour un prêt construction. La flexibilité du prêteur, les garanties, ainsi que quelques autres enjeux légaux et points d’affaires sont beaucoup plus importants pour moi. On en reparlera.


Je précise un point : tout ce que j’ai écrit ci-haut s’applique à un prêt construction, et non à un prêt long-terme. On examinera l’effet du taux d’intérêt sur un prêt long-terme la semaine prochaine. La conclusion sera différente. Complètement différente.


Finalement, je ne dis pas non plus qu’il faut accepter la 1ère offre de taux de la banque et se dépêcher de signer. Non. Mon point est qu’il y a beaucoup de points à négocier en lien avec un prêt construction. On ne les gagne jamais tous. Donc si j’ai à faire des concessions, je préfère concéder un peu de terrain sur le taux d’intérêt et négocier plus fortement d’autres clauses.


Et plus important que tout : choisir un bon partenaire d’affaires pour la période de développement. Pas juste un fournisseur de capital bon marché.


BRIQUES ET DOLLARS

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